Un compte rendu de la représentation de Tannhäuser lors du Festival de Bayreuth 2023 par J-F Rabain.
Quelle fête ! Quelle réussite ! Une vraie fête surréaliste ! L’exemple même montrant que l’on peut s’inspirer d’un livret d’opéra en le transposant dans la modernité, sans en oublier le moindre mot, la moindre intention, le moindre souffle. Tobias Kratzer a parfaitement réussi son pari, inscrivant Tannhäuser dans un mai 68 délirant, un présent exaltant, où Tannhäuser exalte avec Venus l’amour et la liberté.
L’intelligente utilisation de la vidéo propose dès l’ouverture de l’opéra, la folle escapade de Tannhäuser et de Venus, une blonde platinée qui évoque Madonna, accompagnés par deux compères, un nain à figure d’enfant et un transgenre multicolore délirant. Au volant de sa camionnette Citroën, Venus brûle les feux rouges, pompe avec ses compères l’essence dans les parkings, avale avec Tannhäuser de la coke à pleine bouche, refuse d’obtempérer (+ délit de fuite) et écrase un malheureux flic au passage.
C’en est vraiment trop pour Tannhäuser qui décide de s’amender et de venir conquérir la pure et chaste Elisabeth au château du Wartburg, chez les Landgrave.
Deux histoire se jouent donc sur la scène. Celle contée par Wagner que nous connaissons, l’opposition entre l’amour charnel et le spirituel, et celle des transgressions et des folies d’aujourd’hui. Le génie de Kratzer est alors de poursuivre ce contrepoint délirant en intriquant l’histoire réelle à l’intérieur du drame wagnérien. Au 2e acte Venus/Madonna pénètre la salle des chanteurs à la Wartburg, accompagnée du nain et du trans qui se livre à une danse effrénée avec jeu de paillettes devant les Chevaliers sidérés. On se rappelle La rose pourpre du Caire de Woody Allen où l’on se retrouvait soudain à l’intérieur du film avec les comédiens.
L’affaire ne s’arrête pas là. La déferlante soixante-huitarde continue et Venus/ Miou-Miou et ses valseuses n’a pas dit son dernier mot. Pendant que Wolfram et Tannhäuser s’affrontent pour conquérir Elisabeth (voix sublime de Elisabeth Teige), Venus déploie un drapeau sur la façade du Festspielhaus où l’on peut lire différentes modulations du « Jouir sans entrave », inscrit en 68 sur La Sorbonne … Frei im thun (libre d’agir). Frei im wollen (libre de vouloir) Frei im geniessen (libre de profiter).
C’en est trop ! La police de Bayreuth arrive par les jardins de la Colline sacrée, pénètre le Festspielhaus et arrive sur la scène de l’opéra face aux chevaliers du Landgrave et aux spectateurs du Festival médusés. Tannhäuser est arrêté et menotté sur place pendant que les chevaliers chantent (magnifiquement) en chœurs satisfaits. Tout ceci est en parfaite harmonie avec le texte, l’esprit du livret et surtout la musique. Rien ne trouble les chanteurs (Klaus Florizn Vogt/ Tannhäuser, Markus Eicje excellent Wolfram, Elisabeth Teige déjà citée et Ekatarina Gubanova en Venus infatigable).
Je ne vous dévoile pas le 3e acte, ne voulant pas choquer les âmes sensibles bien éloignées hélas de cette belle fête surréaliste prônée par Bayreuth, la pure Elisabeth perdant alors sa virginité dans la camionnette Citroën (une horrible bagnole française bien entendu).
À bientôt. Peace and love….