Un compte rendu de la représentation de Tristan et Isolde lors du Festival de Bayreuth 2023 par J-F Rabain.
Un magnifique Tristan. Grandes voix (Catherine Foster et Clay Hilley) et une mise en scène inspirée de Roland Schwab. Plus rien à voir avec l’atroce mise en scène précédente, woke, de Katherina Wagner qui était un contre-sens absolu. Nous avons cette fois une mise en scène qui est au service de la musique et des chanteurs.
La scène est divisée en deux espaces, un monde céleste qui surplombe et transcende le monde terrestre des passions humaines. La nuit étoilée illumine le 2e acte et l’union mystique de Tristan et d’Isolde. Les étoiles deviennent autant de notes qui éclairent les sentiments intérieurs et l’extase du couple wagnérien. L’émotion est partagée par un parterre transi. Le ciel se reflète dans le cercle lumineux qui entoure et unit désormais Tristan et Isolde dans une spirale descendante. Un trou noir va les absorber dans un tourbillon magique.
Le philtre renvoie certes au désir mais aussi à l’Être (« Nul n’entre ici sans désir », écrit Paul Valéry au-dessus du musée du Trocadéro). Le désir anime les amants comme il définit l’Être, il est au centre de leur union sacrée…
Quant au Liebestod, il renvoie autant à la nostalgie des origines, au désir de fusion avec la terre- mère originelle, qu’au Todestrieb freudien (à discuter). L’être est un être pour la mort pour Wagner comme pour Heidegger. Rien à voir avec l’élixir d’amour du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare qui égare les amants et leur ferme les yeux. Ici la magie du philtre révèle le désir qui est un « muss ich leben », un « je dois vivre ».
Bref l’extase des amants nous transporte vers l’inaccessible, vers l’infini… Défense de l’infini… vers un « par-delà le bien et le mal » nietzschéen, une autre planète dit le metteur en scène Roland Schwab … L'air s'achève par ces derniers vers. À partir de « ertrinken », les vers sont chantés diminuendo. « Lust » est ainsi chanté piano comme le dernier souffle d'Isolde.
Original
In dem wogenden Schwall, in dem tönenden Schall,
in des Welt-Atems wehendem All
ertrinken, versinken unbewusst, höchste Lust!
Traduction littérale
Dans le torrent déferlant, dans le son retentissant,
dans le souffle du monde
me noyer, sombrer inconsciente, bonheur suprême!
La partition après la dernière parole d'Isolde : « Isolde sinkt wie verklärt, in Brangäne's Armen sanft auf Tristan's Leiche. Grosse Rührung und Entrücktheit. Marke segnet die Leichen » : « Comme transfigurée, Isolde s'enfonce doucement dans les bras de Brangäne sur le cadavre de Tristan. Grande émotion et ravissement. Marke bénit les cadavres.»